Rapport préliminaire de la campagne de prospections 2012
par Stephan G. Schmid, Caroline Huguenot et Janick Roussel-Ode
III. Perspectives
Après la fin de la campagne de prospections 2012 et la mise au net des dessins, des descriptions et des plans, nous devrions obtenir une image assez complète des structures et du mobilier repérables sur le plateau du Rocher des Aures.
Durant une troisième campagne de prospections, qui se déroulerait en septembre 2013, nous nous proposons donc de poursuivre nos activités avec deux objectifs:
étendre les prospections systématiques sur le flanc sud à l’extérieur du plateau du Rocher des Aures (zones orange et vert sur la fig. 26). Dans ce secteur, un nombre important de murs et de structures sont visibles à l’œil nu, tout comme un grand nombre de fragments de tuiles et de céramiques par endroits. En complétant les prospections dans ce secteur, il devrait être possible d’obtenir une image complète de l’extension maximale de l’agglomération antique et post-antique. Les propriétaires des terrains – pour la plupart les mêmes que pour le plateau – ont déjà manifesté leur soutien;
une étude photogrammétrique, si possible complétée par d’autres moyens d’exploration archéologique à distance par octocopter, du plateau et des zones avoisinantes, afin de permettre la réalisation de modèles 3D de haute précision.
Dans un cadre plus large, et en plus des activités de terrain, nous souhaiterions également commencer à réfléchir sur la fonction et le fonctionnement de l’agglomération implantée sur le Rocher des Aures. L’un des aspects intéressants réside justement dans la question de la relation entre le Rocher des Aures et l’occupation antique et médiévale de la colline St-Marcel au Pègue. Les deux collines ont un contact visuel direct, au moins dans leurs parties supérieures (figs. 27–28). Occupées simultanément pendant plusieurs siècles, il est nécessaire de s’interroger sur leur(s) relation(s): appartenaient-elles aux mêmes occupants ou à des groupes sociaux différents ? Avaient-elles la même fonction et le même statut, ou des fonctions et des statuts complémentaires ? La poursuite de recherches archéologiques de divers types devrait pouvoir amener des éléments de réponses ou des pistes pour ce genre de questions, liées à une problématique bien plus vaste qui peut sans problème s’étendre à l’ensemble de la Drôme méridionale.
En l’état actuel des recherches, nous pouvons toutefois déjà avancer quelques réflexions préliminaires. Il est clair que l’un des avantages, si ce n’est le principal, de la position du Rocher des Aures consiste dans le contrôle (visuel) général de la plaine en direction de la vallée du Rhône, et plus spécifiquement dans le contrôle direct de la vallée du Lez, par laquelle passait la voie protohistorique qui liait, dans les grandes lignes, Marseille à la vallée du Rhône Pour cette voie protohistorique, voir Chapotat 1981; Jung – Odiot 1999: 87–88; Bois 2010: spécialement 91–92 avec fig. 15. . Or, une analyse détaillée de la visibilité qu’offrait le Rocher des Aures (fig. 30) montre tout de suite qu’en effet, cet endroit permet d’exercer un excellent contrôle sur la vallée du Lez et sur l’axe ouest–est vers la vallée du Rhône, mais qui devient quasiment aveugle en direction du Sud, c’est-à-dire là où devait passer l’importante voie de circulation en provenance ou en direction de Marseille. L’analyse de la visibilité offerte par le site du Pègue (fig. 31) permet de proposer une solution à ce handicap visuel. En effet, la colline Saint-Marcel offre un complément plus qu’utile à la visibilité du Rocher des Aures. L’organisation du contrôle visuel du territoire des deux sites semble ainsi fonctionner selon un principe de complémentarité, à l’intérieur d’un réseau plutôt que de façon concurrente.
Dans tous les cas, le contrôle du territoire a dû s’effectuer par une organisation bien plus complexe que par la seule gestion des sites fortifiés, comme le montre clairement le cas du Rocher des Aures et du Pègue: aucun des sites n’offre de visibilité sur le carrefour du Pont du Jar, pourtant d’une importance cruciale pour le contrôle de la circulation, car c’est précisément à cet endroit que se trouve le croisement de la voie venant de la vallée du Rhône avec l’axe nord–sud empruntant la vallée du Lez. Il faut donc supposer l’existence d’un point d’observation, correspondant – au moins dans sa fonction, sinon à son emplacement – à la tour médiévale de Blacon Emplacement qui a d’ailleurs livré des indications pour une occupation antique; Planchon – Bois – Conjard-Réthoré 2010, 518 Nr. 5 s. v. Roche-Saint-Secret-Béconne (J. Roussel-Ode). . Ces hypothèses ne sont qu’à un stade préliminaire d’une recherche qui s’inscrit dans un cadre de recherches beaucoup plus vaste Quelques réflexions préliminaires concernant ces questions d’organisation et de contrôle du territoire seront présentées lors du colloque international „Fokus Fortifikation. Conference on the Research of Ancient Fortifications“, Athènes, 6–9 décembre 2012. , et qui devrait prendre en compte les différents types d’oppida, fortifiés ou non, leur chronologie, les contraintes topographiques (accès aux ressources naturelles), la proximité des voies de passage ainsi que la question, très débattue, des limites ou frontières des différentes peuplades (Cavares, Tricastins, Voconces) de cette région Certains recensements ont déjà été amorcés et peuvent servir de base à une telle étude: Odiot 1991; Sergent 2004; sur la question plus générale de répartition des peuples, voir Barruol 1993. . Ce bref aperçu des problématiques concernées souligne l’importance et les enjeux de toute recherche sur le Rocher des Aures, bien au-delà de la simple question de l’identification du site, qui a trop longtemps monopolisé l’intérêt.
C’est pourquoi, après une troisième année de prospections, prévue pour l’automne 2013, nous espérons pouvoir être en mesure de proposer un bilan intermédiaire et une éventuelle planification – suivant le bilan – d’activités futures.