Résumé du Projet archéologique du Rocher des Aures
I. Introduction
Le Rocher des Aures est un massif de forme plus ou moins triangulaire, dont les longs cotés (nord et sud) mesurent à peine moins de 600 m et le court (ouest) environ 200 m. ; il s’élève au pied du massif montagneux de la Lance, un contrefort des Préalpes françaises, dans la partie méridionale du département de la Drôme (26), dite Drôme provençale, sur la commune de La-Roche-Saint-Secret-Béconne (26770) (fig. 1).
Comme bon nombre de formations calcaires analogues, ce plateau rocheux se décroche nettement du massif principal (fig. 2–5). La situation proéminente du Rocher des Aures, reconnaissable à sa forme triangulaire caractéristique, à sa pointe orientée à l’est, culminant à 771 m et constituant le point le plus élevé, ainsi qu’à ses deux long côtés (nord et sud) formant des falaises à pic de 30 à 50 m de haut rendant tout accès impraticable, semblait déjà appréciée durant l’Âge du Bronze, en tant que place forte idéale en cas de retraite forcée ou en vue d’une installation durable.
La position surélevée du plateau offre une vue remarquable qui, même lors des jours de brume, va jusqu’à la lointaine vallée du Rhône, env. 29 km plus loin (à vol d’oiseau) ; par beau temps, on distingue le Mont Ventoux (37,5 km au sud-ouest) et même les Cévennes (env. 120 km à l’ouest) (fig. 6). En dépit des vents parfois violents, le Rocher des Aures profite d’un microclimat passablement doux et plutôt de type méditerranéen. Grâce à la protection offerte par la Montagne de la Lance, dont le plus haut sommet, le Rocher Garaux, situé directement à l’est et s’élevant à 1338 m d’altitude, par ailleurs souvent couvert de neige en hiver, les contreforts situés plus bas restent d’ordinaire épargnés par les changements climatiques extrêmes, comme en témoigne l’abondante végétation.
En l’état actuel, le plateau du Rocher des Aures et ses pentes environnantes sont recouverts d’une végétation dense, composée d’arbres, d’arbustes et de broussailles, de telle sorte que les vestiges antiques qui sont décrits plus bas ne sont guère accessibles et visibles sans un certain travail de défrichage qui demande beaucoup de temps (fig. 7) Selon les témoignages concordants des habitants, dont M. Régis Chauvin, le propriétaire actuel de la plus grande partie de ce plateau rocheux, son père a, „peu après la Seconde Guerre mondiale“, déboisé l’ensemble du plateau, afin de vendre du bois. Il est prévu de commander des photographies aériennes auprès de l’Institut géographique national (IGN), qui vont permettre de vérifier l’étendue de ce déboisement. . Aujourd’hui, le Rocher des Aures se situe dans une zone relativement isolée, mais dans l’Antiquité, il se trouvait en revanche au croisement de plusieurs importantes voies de communication Pour une courte mise au point, voir Roussel-Ode 2002. , parmi lesquelles – pour simplifier – la route directe menant de Massalia, la colonie phocéenne fondée en 600 av. à l’emplacement de l’actuelle Marseille, aux cités et implantations commerciales de la Vallée du Rhône (Vienne, Lyon etc.).
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II. Histoire de la recherche (apercu)
Le Rocher des Aures laisse son empreinte dans la recherche archéologique depuis 1920, bien que jusqu’à ce jour sans résultats concrets. En 1920, Alexandre Chevalier publia son mémoire sur Le site d’Aeria Chevalier 1920; voir aussi la bibliographie donnée dans Chevalier 1923. , qui présente sa découverte, en 1914, donc peu avant que n’éclate la Première Guerre mondiale, d’un site antique important sur le Rocher des Aures. La monographie de Chevalier s’insère néanmoins dans la longue quête de la cité cavare Aéria, mentionnée par Strabon dans sa Géographie (4,1,11), qui débute au 17e s. déjà. En 1885, Ferdinand Saurel comptabilisait pas moins de 23 tentatives d’identification différentes pour le site de l’antique Aéria Saurel 1885. et à l’époque de la publication des recherches d’A. Chevalier, le Rocher des Aures constituait la 31ème identification possible Pour un état de la question, voir Barruol 1957. . Etant donné que sans preuve explicite (inscriptions p. ex.), l’identification de toponymes antiques demeure une entreprise très difficile, et que d’autre part, les historiens locaux et autres amateurs d’antiquités des régions concernées ont généralement une certaine tendance à s’écharper sur ce genre de débat, la proposition de Chevalier fut sévèrement critiquée et sombra assez rapidement dans l’oubli sans avoir une réelle influence sur cette question, ce qui fut renforcé par les conditions économiques difficiles de l’entre-deux guerres ainsi que de la Seconde guerre mondiale.
L’intérêt pour le Rocher des Aures connut un renouveau à partir des années 1954/55, suscité par la découverte et les premières fouilles sur le site voisin du Pègue, éloigné de seulement 4 km, qui permirent soudainement de prendre conscience de l’importance de la région à l’Âge du Bronze final, durant l’Âge du Fer ainsi qu’à l’époque gallo-romaine En plus des nombreux rapports préliminaires, voir Lagrand – Thalmann 1973 et surtout Planchon – Bois – Conjard-Réthoré 2010, 470–475 Nr. 1 s. v. Le Pègue (F. Sergent). . Situé sur l’une des principales voies de communication antiques entre Massalia et la Vallée du Rhône, l’oppidum de St-Marcel au Pègue a livré – en plus des structures et trouvailles typiques des Âges du Bronze et du Fer locaux – une grande quantité de céramique grecque importée et d’imitations locales, preuves directes de contacts visiblement intensifs avec la cité phocéenne Massalia.
Bien que des archéologues amateurs essayèrent à nouveau à cette occasion de relancer les recherches sur les Rocher des Aures, cette tentative échoua. Les résultats les plus concrets furent vraisemblablement livrés par différents sondages réalisés par J.-P. Guillot, un entrepreneur de Valréas. Les résultats de ces recherches demeurèrent pour la plupart inédits. En revanche, Guillot publia deux contributions détaillées, dans lesquelles il étaye essentiellement les thèses de A. Chevalier à l’aide de nouveaux arguments Guillot 1966; 1968. . Egalement stimulé par les découvertes du Pègue, le curé de Montségur, Julien Chauvin Un parent du propriétaire foncier du Rocher des Aures. , rédigea un important manuscrit de 130 pages intitulé Aeria, capitale primitive des Cavares ou l’oppidum des „Aures“ à la Roche-Saint-Secret (Drôme), qui demeura inédit A l’exception d’un bref extrait publié dans Boissier 1986. . En plus d’une analyse minutieuse du texte de Strabon, le manuscrit contient des réflexions détaillées et cohérentes sur la topographie antique, les voies de communication et les territoires des différentes tribus celtes qui peuplaient la région, d’après les sources antiques Bien que le but principal de J. Chauvin soit également de démontrer que le Rocher des Aures doit être identifié à Aéria, son texte se caractérise par une grande érudition ainsi que par une formulation heureusement prudente. Il serait souhaitable de publier ce manuscrit, afin de rendre l’argumentation de cette recherche accessible au public. Je suis en contact avec le propriétaire de l’original de ce manuscrit, qui m’en a donné une copie, dans le but de préparer un éventuel travail d’édition. . D’autres motifs ont contribué à freiner le développement de recherches sérieuses sur le Rocher des Aures, notamment une attention globalement focalisée sur le site voisin du Pègue, et d’autre part peut-être aussi le fait qu’une fouille restreinte eut lieu au pied sud du plateau du Rocher des Aures au début des années 1980, sous la direction de Ch. Lagrand, l’un des fouilleurs du Pègue, et de J.-C. Alcamo, qui ne permit toutefois de mettre au jour „que“ des structures et trouvailles médiévales Alcamo – Lagrand 1985. .
Dans l’ensemble, cette situation demeure à ce jour inchangée, c’est pourquoi la contribution de la Carte archéologique de la Gaule sur le Rocher des Aures, rédigée par Janick Roussel-Ode, ne peut se fonder pour l’essentiel que sur l’inventaire d’Alexandre Chevalier Planchon – Bois – Conjard-Réthoré 2010, 516–518 Nr. 2 s. v. Roche-Saint-Secret-Béconne (J. Roussel-Ode). , bien que l’identification hypothétique du site à Aéria soit régulièrement reprise par les érudits et historiens locaux Par ex. Curiol 2008. . Cette situation est d’autant plus regrettable que la publication de la Carte archéologique montre parfaitement la richesse de toute cette région, soulignant ainsi à quel point une exploration systématique du Rocher des Aures serait bienvenue et permettrait de situer ce site dans un contexte régional et supra-régional plus large.
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III. Le projet actuel
Il est évident qu’un tel projet archéologique doit se dissocier de toute tentative d’identification du site avec un quelconque toponyme mentionné dans les sources antiques.
Dans un premier temps, les structures visibles doivent être recensées, relevées, dessinées et photographiées. A ce jour, le seul plan disponible est celui d’A. Chevalier, publié en 1920 (fig. 8), à vrai dire plutôt une esquisse. Dans une seconde étape, qui peut aussi se dérouler parallèlement à la première, une prospection de surface conventionnelle devrait avoir lieu, impliquant un ramassage systématique des trouvailles de surface, afin d’obtenir de premiers indices sur la chronologie, la répartition, l’utilisation et la fonction des structures. Enfin, et selon les résultats des campagnes de prospections prévues, des sondages limités pourraient être réalisés, afin de bénéficier d’informations fiables sur la datation et la fonction des structures. Les sondages peuvent éventuellement être mieux déterminés à l’aide de méthodes géophysiques ciblées, bien que le terrain accidenté ne s’y prête peut-être pas toujours.
Stephan G. Schmid Winckelmann-Institut Humboldt-Universität zu Berlin Unter den Linden 6 10099 Berlin (Allemagne) stephan.g.schmid@culture.hu-berlin.de