Rapport préliminaire de la campagne de prospections 2012
par Stephan G. Schmid, Caroline Huguenot et Janick Roussel-Ode
II.b. Chronologie
Il reste à définir la chronologie de ces structures, gardant à l’esprit les limites de la prospection archéologique. Pour le moment, la plupart du mobilier recueilli sur les structures mentionnées ci-dessus montre une certaine homogénéité. Il en ressort que le plus grand groupe de trouvailles, hormis les tuiles Le nombre de fragments de tuiles étant parfois très important, nous nous sommes contentés de recenser ceux présentant des caractéristiques telles que des encoches pour la pose. , est constitué par la céramique grise kaolinitique, très typique de la région (figs. 8–11) Py 1993: 488–499 s.v. KAOL (J.-C. Meffre; C. Raynaud); voir également Meffre 1985; Bonnet 2005–2006. . Les formes reconnaissables couvrent les cinq premiers siècles de notre ère. Cette fourchette chronologique assez large est confirmée par les tegulae (fig. 12), les fragments de verres (figs. 13. 14), un fragment qui pourrait appartenir à une amphore du type Dressel 20 ou 23 (fig. 15 en haut à gauche; fig. 16, 2) Le fragment de bord sur la fig. 16, 2 provient d’un raté de cuisson et son profil ne correspond pas exactement à celui des spécimens caractéristiques des Dressel 20 ou 23; pour un aperçu de quelques amphores Dressel 20 et 23, on consultera, hormis les manuels de référence, Carreras Monfort – Williams 2003; Martin-Kilcher 1987: passim, spécialement pl. 7–10. ainsi que par quelques fragments de céramique sigillée (fig. 17) Voir également rapport 2011 (supra n. 1). .
Il est d’ailleurs assez intéressant de constater le petit nombre de fragments d’amphores recensés à ce jour. Normalement, sur des sites témoignant d’une forte occupation durant les derniers siècles avant notre ère, les amphores à vin comptent parmi les trouvailles assez fréquentes Communication personnelle de P. Jud; voir entre autres Olmer – Maza 2004. . Or, en 2012 nous n’avons trouvé que deux fragments de bords d’amphore. En plus du possible fragment de Dressel 23 provenant de la ST 9 (cf. supra), il faut signaler un fragment d’une éventuelle amphore africaine provenant de la ST 19 (fig. 16, 1) A-AFR 25/2 ou A-AFR 25/3 selon PY 1993: 18 s.v. A-AFR (C. Raynaud – M. Bonifay), à moins qu’il ne s’agisse d’une Dressel 9 similis, qui proviendrait donc de la vallée du Rhône/région de Lyon; cf. Martin-Kilcher 1994: pl. 218 no. 4866 (avec une orientation légèrement différente à celle de notre exemplaire, mais qui peut s’expliquer par la petite taille et l’état fragmentaire de ce dernier). . A ce jour, les seuls éléments provenant du plateau pouvant éventuellement indiquer une chronologie légèrement antérieure, à savoir des deux derniers siècles avant notre ère, consistent en deux tessons semblant correspondre à de la céramique campanienne C ou à des imitations de cette dernière (fig. 9, 1. 2; fig. 18; cf. infra) Py 1993: 153–154 s.v. CAMP-C (M. Py); ibid. 400–401 s.v. DER-C (M. Py). . Etant donné le mauvais état de conservation de ces fragments et surtout de leur revêtement, il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’autres types de productions, mais les formes arrondies à lèvre déversée sont de manière générale plus anciennes que celles attestées par la plupart du matériel documenté en 2012.
Hormis les fragments de bords, ceux de fonds semblent également indiquer une certaine limite chronologique inférieure. Parmi tous les fragments de fonds en céramique grise kaolinitique, on a recensé pour la grande majorité des tessons plats, comme l’illustre la sélection sur la fig. 19 (à l’exception de la fig. 19, 6). Or, selon J.-C. Alcamo et Ch.-H. Lagrand, on observe une tendance vers des fonds bombés à partir du 7e s. apr. J.-C. Alcamo – Lagrand 1985: 207; parc contre, les formes des fonds de vases comme sur la fig. 19, 2–5 se trouve déjà au 1er s. ap. J.-C; cf. Meffre 1985: 10 fig. 18, 2. , nettement moins représentés dans notre matériel provenant du plateau du Rocher des Aures.
Pour le moment, nous pouvons donc confirmer une occupation continue de la quasi-totalité du plateau du Rocher des Aures durant la première moitié du 1er millénaire de notre ère. La durée et la densité de cette occupation sont tout à fait surprenantes, mais un tel constat à déjà été établi à plusieurs reprises pour différents sites de hauteur et l’état des recherches récentes dans ce domaine semble refléter une telle tendance. Sur la partie supérieure ainsi que sur la pointe du plateau, et probablement aussi sur le flanc sud du Rocher des Aures, l’occupation est même attestée au-delà de cette période Pour la pointe du plateau, voir le rapport 2011; une occupation médiévale sur le flanc sud est attestée par le sondage effectué par Alcamo – Lagrand 1985. . Il n’est pas exclu que cette occupation médiévale sur la pointe du Rocher des Aures soit à mettre en relation avec différentes sources mentionnant un site fortifié (castrum) sur le territoire de la Roche-Saint-Secret, qui daterait des 12e et 13e siècles Estienne 2008: 30–31. Il n’est d’ailleurs pas non plus exclu que „le vieux La Roche“ sur la carte Cassini, indiqué par le symbole d’une bourgade en ruines (fig. 20) soit identifiable avec cette occupation médiévale. . L’apport de nos prospections à l’image générale de l’occupation du Rocher des Aures, telle qu’elle se présentait encore très récemment, consiste, entre autres, à avoir comblé un hiatus important. En effet, M.-P. Estienne, tout comme plusieurs chercheurs avant elle, était amenée à constater „la réoccupation d’un site protohistorique durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge“ Estienne 2008: 31. . Or, les résultats des prospection 2011 et 2012 devraient permettre de combler la lacune des premiers siècles de notre ère. En revanche, ce qui fait défaut à ce jour, et contre toute attente, ce sont des indices clairs d’une occupation protohistorique.
Ce premier constat chronologique peut surprendre, compte tenu de la présence de deux murs en pierre sèche très imposants, à savoir la grande muraille inférieure (FT 1 sur fig. 2) et la muraille intermédiaire (FT 2 sur fig. 2), qu’on aurait typologiquement tendance à dater plutôt de l’époque protohistorique Pour plus de détails sur ces murs, voir le rapport de la prospection 2011. , sans parler des rapports antérieurs mentionnant les trouvailles fortuites de céramiques et d’autres mobiliers de l’âge du Fer. Pour le moment, la prudence s’impose et nous ne tenterons donc pas de répondre à ce genre de questions sans l’aide de fouilles archéologiques.
Une découverte inattendue fournit toutefois un indice pour une occupation du Rocher des Aures à une époque antérieure à la majorité du matériel documenté lors des prospections 2011 et 2012. En effet, en empruntant le chemin qui mène au plateau du Rocher, suite à une forte pluie ayant quelque peu raviné l’endroit marqué avec une croix sur la fig. 1, nous avons pu recueillir deux fragments de céramique non tournée appartenant au même vase (fig. 16, 3; fig. 21). Ce type de céramique est assez caractéristique de l’âge du Bronze, ou éventuellement du premier âge du Fer dans la région Lagrand – Thalmann 1973: 40–50. . Or, il semble difficile d’imaginer que le flanc du Rocher des Aures, où les deux fragments ont été trouvés, ait pu être occupé sans que le plateau lui-même, constituant un endroit privilégié pour la défense du territoire, n’ait pas lui aussi connu une occupation humaine à cette période. Comme c’est le cas en général pour les résultats de prospections, cette conjecture ne peut bien entendu être confirmée (ou infirmée) que par une recherche plus approfondie dans le cadre de fouilles.