Rapport préliminaire de la campagne de fouilles 2014
par Stephan G. Schmid (responsable)
III. Résultats de la campagne 2014 – 2. Le sondage 1: Indications chronologiques
En ce qui concerne les indications chronologiques, nous avons rencontré une situation fort différente de celle des résultats des prospections 2011 à 2013, qui ont livré surtout de la céramique des époques gallo-romaine à médiévale Voir les rapports des campagnes 2011, 2012 et 2013 ; voir également supra. .
Dans les secteurs situés en haut (à l’est) du mur, les premiers décapages et UF ont livré un matériel mixte, à savoir de la céramique grise kaolinitique représentée par des formes caractéristiques des premiers siècles de notre ère, mélangée à des fragments de céramiques attribuables au Bronze final 3b. L’UF 9 illustre ce constat de manière exemplaire (figs. 23. 24). A gauche de l’échelle sur la fig. 23, qui rassemble les tessons diagnostiques, sont illustrées les céramiques tardives (voir fig. 24, 1–4) Les nos 1 et 2 de la fig. 24 correspondent aux formes KAOL A–29 et A–31, indiquant une chronologie de 500–650 ap. J.-C., voire de 350–500 ap. J.-C. ; Py 1993 : 492. Les dessins de céramiques sont les résultats d’un travail collectif : tous les participants de la campagne 2014 ont réalisé des dessins au crayon, les mises au net et DAO ont été réalisés par S. G. Schmid. , et à droite de l’échelle celles du Bronze final (voir fig. 24, 5–7). La fig. 24, 5 correspond au bord d’une jarre typique du BF 3b Vital 1990 : figs. 49. 50 ; Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 533–534 figs. 20. 21. , tandis que les figs. 24, 5 et 6 peuvent être attribuées à des coupes et des bols de cette même époque, avec des cannelures intérieures caractéristiques comme illustré sur la fig. 24, 7 Vital 1990 : figs. 41. 42 ; Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 527 fig. 14. Pour ce rapport préliminaire, nous nous sommes contentés de donner des références de base et d’utiliser un vocabulaire rudimentaire en ce qui concerne p.ex. la typologie et la morphologie de la céramique du Bronze final, telle qu’elles sont définies dans Vital 1990 ; pour une différentiation plus approfondie, voir p.ex. Lachenal 2014 : 39–41. .
Ce même constat s’applique aux UF 1 à 10 et 33 (pour leur localisation, voir les figs. 7–9 et 22), qui comprennent donc de la céramique du BF 3b mélangée à des tessons nettement plus tardifs. Etonnamment, l’Âge du fer semble totalement absent de nos UF. Dans ce secteur, seuls les UF 31, 32, 34 et 35 se présentent de manière homogène, contenant exclusivement du matériel attribuable au Bronze final 3b. Les tessons diagnostiques de l’UF 32 (figs. 25–28) sont illustrés ici à titre d’exemple. L’aspect très fragmentaire des tessons a rendu leur identification parfois difficile, notamment le diamètre exact des vases Malgré leur taille parfois assez petite, la plupart des tessons montre des fractures nettes; ils ont donc probablement dû être rapidement ensevelis. , mais en revanche certains décors caractéristiques ont permis de reconnaître des formes à partir de bords mais aussi de panses.
Ainsi, la fig. 27 présente des bords et des panses de gobelets et de jarres attribuables au BF 3b Vital 1990 : figs. 47–50; Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 530–534 figs. 17–21. , tandis que la fig. 28, 1–5 montre des jattes ou/et coupelles à panse carénée contemporaines Vital 1990 : figs. 43–46; Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 529 fig. 16. . La céramique du BF 3b ne se distingue pas spécialement par une fabrication fine, voire par une argile épurée. Les tessons trouvés dans les UF situées directement sur le rocher du secteur haut du sondage 1 (UF 32, 34 et 35), montrent néanmoins des dégraissants particulièrement grands et nombreux (cf. fig. 26) par rapport aux tessons d’autres UF contenant du matériel homogène de cette période. Il faut donc se demander si les UF 32, 34 et 35 n’appartiennent pas éventuellement à des phases plus anciennes. En effet, des tessons comme le bord fig. 28, 6 et la panse fig. 28, 7 pourraient trouver leurs meilleurs parallèles parmi les écuelles et gobelets à épaulement du BF 2b Vital 1990 : figs. 38. 39 ; Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 518 fig. 8. Dans d’autres ensembles, des bords comme celui de notre fig. 28, 6 se trouvent encore au BF 3b : Dedet 2014 : 96 fig. 8, 1. . En l’état des recherches, il semble bien que la majorité du matériel céramique des UF et couches homogènes appartienne au Bronze final 3b, mais dans le cas où la surface fouillée et le corpus de céramique augmentent, l’hypothèse d’une éventuelle phase plus ancienne sera à vérifier.
Notons encore que la seule trouvaille de toute la campagne 2014 n’appartenant pas à de la vaisselle A l’exception des ossements bien sûr ; notons aussi qu’aucun objet en métal n’a été trouvé. est une fusaïole en céramique, découverte dans l’UF 31 (fig. 29), correspondant à un type également attesté au BF 3b Pour de bons parallèles, voir Vital – Giselon – Thiébaut 1986 : 537 fig. 23, 10–12 ; les trois fusaïoles ne sont pas discutées en détail dans le texte, mais appartiennent certainement au Bronze final, probablement à la phase BF 3b d’après le reste du matériel. Dans la même contribution, on rencontre du reste d’excellents parallèles pour toutes les formes de céramiques de nos UF homogènes attribuables au BF 3(b) : ibid. figs. 14–22. Deux autres bons parallèles pour la fusaïole fig. 29 sont présentés dans Lachenal – Vital 2010 : 60 fig. 29, 1. 2 ; ibid. 65 des références à d’autres exemples confirmant une datation au BF 3b. Voir également Chevillot 1981 : pl. 18,3 ; 60,2 ; 91,1. .
Le démontage du mur a lui aussi livré de la céramique. Tout comme dans le secteur à l’est du mur, des tessons de céramique grise kaolinitique mélangés à des fragments du BF 3b ont été trouvés un peu partout dans la partie supérieure du mur, plus spécifiquement dans les UF 25, 26 et 27 (cf. fig. 22). Ces tessons présentent des dépôts calcaires déjà mentionnés plus haut. Dans la partie inférieure du mur, là où la construction est plus soignée, on a découvert de la céramique homogène (= UF 28, 29, 30 ; cf. fig. 22) appartenant exclusivement au BF 3b. Dans le cadre de ce rapport, nous nous contentons d’illustrer les tessons diagnostiques de l’UF 29, qui contient toutes les formes et décors caractéristiques de cette phase. La fig. 30 illustre des coupes, bols et jattes à panse arrondie ainsi que des fonds typiques du BF 3b Vital 1990: 93–94 figs. 41. 42; les bords peuvent également provenir d’autres formes. . Sur les figs. 31 et 32 sont représentés des gobelets et des jarres Vital 1990: 99–102 figs. 47–50; des bords mal conservés comme ceux illustrés sur la fig. 31, 1. 2 pourraient également appartenir à des coupes. , tandis que la fig. 33 montre un fragment d’une grande jatte à panse carénée (fig. 33, 1) Vital 1990: 95–98 figs. 43–46. , un bord d’une grande jarre ou d’un pot à col vertical Très bon parallèle chez Thiériot 2000 : pl. 43, 318 ; voir également Vital 1990: 101 fig. 49, 20 ; 102 fig. 50, 1. ainsi qu’un bord pour lequel nous n’avons pas trouvé de parallèle exact à ce jour.
Ainsi, il semble clairement établi que la construction initiale du mur principal de l’oppidum du Rocher des Aures remonte au BF 3b, voire au plus tard peu après cette période.
Signalons à ce propos que dans les années 1950, Jean Guillot avait partiellement fouillé ce que Jean Combier désignait comme clapier, et Guillot comme un tumulus contenant un petit dépôt de matériel, y compris deux tessons présentant un faciès caractéristique du BF 3b tel nous venons de le décrire Combier 1959 : 203 ; Guillot 1968 Pl. I fig. 1. 2 ; selon les habitants de la région, cette fouille se situerait à proximité du GR dans le secteur I/6 de notre fig. 2, plus ou moins à l’emplacement de la structure marquée par un cercle blanc entouré de rouge. Guillot voulait dater ces tessons du Bronze ancien ou moyen (voir également Guillot 1958 : 8), mais déjà Combier rendait attentif à des comparaisons avec le Bronze final/début de l’Âge du Fer. . Dans une autre publication du même auteur, « 4 kg de poteries diverses brisées datées du Premier Âge du Fer (Collection J. Guillot) » sont mentionnés comme provenant du Rocher des Aures Guillot 1966 : 90. . Une illustration montre cinq tessons qui, d’après la légende, proviennent « du petit tumulus T.2 en pierres sèches, sous la falaise méridionale » et qui correspondent à des formes et décors qu’on peut (également) attribuer au BF 3b ibid. pl. 47 fig. 5 ; Guillot ne dit pas s’il s’agit toujours du même tumulus dans les publications de 1958 et 1969, ni dans celle de 1966. Le tesson illustré sur la photo de Guillot 1966 : pl. 47 fig. 5 en haut à gauche (avec les lignes incisées) pourrait correspondre au tesson illustré en dessin chez Guillot 1968 : pl. 12 fig 1 (celui du haut), ce qui tend à indiquer que Guillot fait toujours référence au même tumulus. La qualité des dessins étant trop médiocre, la question doit toutefois rester ouverte. . Ces découvertes viennent renforcer la thèse d’une occupation relativement importante du site à la fin de l’Âge du Bronze.
Dans le secteur bas du sondage 1, et donc en aval du mur, les mêmes phases chronologiques ont pu être observées à travers l’étude de la céramique. Tout comme dans les autres secteurs, les UF proches de la surface montraient un matériel mélangé contenant des tessons tardifs (céramique grise kaolinitique) et des tessons du BF 3b et, tout comme dans les autres secteurs, l’Âge du fer semble absent.
Il est ainsi possible d’établir une ligne de séparation entre les UF homogènes du BF 3b et celles présentant du matériel mélangé (ligne rouge sur fig. 22). Il en ressort, entre autres, que la « tour » ou ST 2 repose sur la couche 13 (fig. 21), qui correspond à l’UF 21 (fig. 22), une UF homogène du BF 3b, tandis que les premières assises de pierres de cette même construction contiennent déjà du matériel tardif.
De ce secteur, nous illustrons ici les tessons diagnostiques des UF 19 (figs. 37–41), 20 (figs. 42–48) et 21 (figs. 35. 36), réunissant toutes les formes caractéristiques du BF 3b déjà citées plus haut Pour des comparaisons, voir Vital 1990 : 87–102. . Les UF 19 et 20 semblent faire partie du même dépôt, car deux fragments de céramique appartenant à un même vase ont été trouvés dans chacun d’eux (figs. 37. 41. 43). Notons encore que dans un cas, une jarre à décor cannelé et incisé a pu être partiellement reconstituée à partir de neuf fragments, tous avec des cassures anciennes (figs. 35. 36, 2) Pour des parallèles, voir Vital 1990 : 100 fig. 48, 9. 10 : 101 fig. 49, 1. 2. ; cela indique que le lieu d’utilisation de ce vase est probablement assez proche de son lieu d’enfouissement. Dans le cas d’un déplacement sur une plus longue distance, les cassures devraient être bien plus abimées, et on ne trouverait probablement pas autant de tessons correspondants sur une si petite surface. Cela constitue un argument supplémentaire en faveur d’une occupation du BF 3b pas trop loin à l’intérieur du mur.
L’analyse de la distribution des UF et de leur contenu, à savoir la répartition des UF homogènes attribuables au BF 3b, par opposition aux ensembles hétérogènes contenant du matériel bien plus tardif (fig. 22), permet de mettre en évidence un élément supplémentaire pour la compréhension de la construction du mur. Si ce mur avait été à double parement, ou encore à simple parement avec levée de terre ou talus à l’arrière de cette construction en pierre sèche, il serait logique d’y rencontrer un remblai homogène, à savoir contenant le même matériel du BF 3b que les UF juste au-dessus du rocher (UF 31, 32, 34, 35) et dans les couches inférieures du mur (UF 28, 29, 30). La présence systématique de céramique grise kaolinitique presque partout à l’arrière du mur (à l’exception des UF 31, 32, 34, 35) indique que ce n’était visiblement pas le cas. Plutôt que de supposer l’intervention d’importants travaux durant l’Antiquité tardive, voire au Moyen-Âge, destinés à dégager un remblai plus ancien pour ensuite le remplacer, il paraît bien plus cohérent d’envisager qu’un tel remblai ou talus n’a vraisemblablement jamais existé.
De manière générale, nous disposons d’un nombre suffisamment élevé de fragments de céramique, ce qui nous autorise à émettre de telles interprétations chronologiques, comme nous venons de le faire ci-dessus. En dehors des fragments diagnostiques qui ont été dessinés, toute la céramique a été comptée et traitée statistiquement (voir les comptages des UF à la fin de ce rapport). Pour donner une idée du volume de certains UF, nous nous contentons de mentionner l’UF 28 qui contient, outre les 18 fragments de céramiques diagnostiques Bords, fonds, fragments avec incisions, décors, cannelures etc. , 317 fragments de céramiques non-diagnostiques (mais attribuable au BF 3 d’après leur manufacture), donc un total de 335 tessons, donnant une ratio de 1 : 18,6 entre les fragments diagnostiques et les autres. Sans que cette relation soit toujours identique, elle semble pourtant, dans les grandes lignes, normale pour les UF du sondage 1, soulignant ainsi que nous disposons d’une base assez fiable pour pouvoir établir la chronologie des UF et des structures telle que nous l’avons proposée.