Le Projet Archéologique du Rocher des Aures

Rapport préliminaire de la campagne de prospections 2011

par Stephan G. Schmid et Caroline Huguenot

II. La partie inférieure du rocher

Les résultats de cette première petite campagne montrent déjà de manière significative l’importance des structures présentes et la nécessité d’amorcer des travaux intensifs. L’occupation du plateau du Rocher des Aures appartient au type „éperon barré“, sur un flanc duquel une fortification est construite, tandis que les autres flancs sont naturellement fortifiés par des pentes rocheuses abruptes (comme ici), des cours d’eau etc. Fichtl 2005, 41–44. . Du seul côté laissé accessible par la nature, à l’ouest, le plateau est barré par une muraille massive construite en maçonnerie de pierres sèches (secteurs A2–E3 sur la fig. 5; figs. 6–8).

Fig. 6: Rempart ouest inférieure (plan: J. Falkenberg)
Fig. 6: Rempart ouest inférieure (plan: J. Falkenberg)

Bien que passablement détruite et pauvre en trouvailles de surface, l’emplacement ainsi que la technique de construction de cette muraille sont comparables aux fortifications protohistoriques des oppida d’Europe méridionale Garcia 2004, 137–142; Dédet – Py 1985. Tous les murs recensés ont été cartographiés, photographiés et dessinés (sur leurs tronçons les plus représentatifs). . Le tracé du mur suit la topographie, c’est pourquoi il ne se présente pas de manière rectiligne mais courbe. Les pierres ne semblent pas taillées, mais il s’agit souvent de dalles superposées les unes sur les autres, formant des „assises“ mesurant 5 à 20 cm. Suite à la destruction du mur, une grande quantité de pierres recouvre les premières „assises“, c’est pourquoi la base du mur n’est pas visible.

Fig. 7: Rempart ouest inférieure, vue du nord (photo: S. G. Schmid)
Fig. 7: Rempart ouest inférieure, vue du nord (photo: S. G. Schmid)

La muraille part de la falaise nord sur environ 170 m de long, pour s’interrompre à un endroit bien précis, à travers lequel passe un sentier moderne. Selon Chevalier, cet endroit doit être interprété comme une porte Chevalier 1920, 57–58. , ce qui nécessite toutefois une recherche approfondie. En l’état actuel, aucune limite antique du mur pouvant faire penser à une porte n’a pu être reconnue sur et autour de ce sentier. Au sud de ce dernier, la muraille est encore visible sans problème sur une trentaine de mètres, mais sa trace se perd par la suite. Cependant, on relève dans ce secteur et jusqu’à la falaise sud (secteur D9 sur la fig. 5) une alternance de rochers et d’importants tas de pierres, ce qui laisse supposer que la muraille se poursuivait. La partie du plateau fortifiée par ce „mur d’enceinte“ comprend 6,8 ha, qui devaient autrefois être densément construits, comme le suggèrent les trouvailles de surface. L’épaisseur initiale de ce mur ne peut pas être définie avec précision en l’état actuel.

Fig. 8: Rempart ouest inférieure, dessin du tronçon le mieux conservé (plan: C. Huguenot et S. G. Schmid)
Fig. 8: Rempart ouest inférieure, dessin du tronçon le mieux conservé (plan: C. Huguenot et S. G. Schmid)

Tandis que la limite antérieure (extérieure) est clairement visible en plusieurs endroits, la limite du parement interne n’est pas visible. En revanche, plusieurs éléments permettent de la deviner: normalement, la limite intérieure des éboulis provenant du mur correspond avec le début de la végétation boisée. Or, on peut partir du principe que suite à l’abandon de la fonction défensive du mur, la forte pente du plateau, tout comme l’érosion et le vent, ont amené de grandes quantités de terre légère et fertile juste à l’arrière du mur, ce qui a pu favoriser la croissance d’une végétation intense, alors que sur le mur-même, quasiment rien n’a pu germer. Pour la partie documentée du mur, cette ligne indique une épaisseur variant entre 2,5 et 5 m. Les quantités considérables de pierres qui se trouvent dans la pente au pied du mur, à l’ouest de celui-ci montrent qu’il s’agissait certainement d’un mur massif d’une certaine hauteur (fig. 7).

Fig. 9: Rempart ouest inférieure, vestiges d’une tour (?) (photo: S. G. Schmid)
Fig. 9: Rempart ouest inférieure, vestiges d’une tour (?) (photo: S. G. Schmid)

Ces éboulis sont tellement importants qu’on les distingue même clairement sur la photographie de Google Earth (fig. 1). Pour la future recherche autour du Rocher des Aures, il serait important d’étudier précisément la technique de construction de ce mur. Pour le moment, tout indique qu’il s’agit d’un mur exclusivement en pierres sèches, comparable aux murs de remparts des oppida de la Celtique méridionale F. Sergent mentionne huit enceintes dans le sud de la Drôme, toutes construites en pierre sèches: Bois – Burgard 2004, 16 (F. Sergent). . D’un point de vue purement théorique, on ne peut pas exclure, pour le moment, qu’aux nombreux points où le mur semble écroulé (cf. fig. 8), des poteaux ou poutres en bois étaient présents. Dans ce cas, notre mur s’intégrerait dans un tout autre contexte de constructions défensives, celui des oppida celtiques de l’Europe centrale et occidentale A ce sujet voir en dernier lieu Fichtl 2010, passim. .

Fig. 10: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11 (plan: J. Falkenberg)
Fig. 10: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11 (plan: J. Falkenberg)

Puisque le Rocher des Aures se situe justement dans la zone des contacts entre ces deux régions très importantes pour l’Europe de l’Âge du Fer Voir infra „Résumé et perspectives“. , cette question est d’une certaine importance. Moins fondamentale, mais tout autant intéressante, est la question de la présence d’éventuelles tours. Vers l’emplacement de la présumée porte, on observe en effet deux structures rectangulaires saillantes (fig. 9), dont la plus grande mesure 2,4 x 2,6 m, la plus petite 1,2 x 1,9 m. En l’état actuel des recherches, il est difficile de déterminer s’il s’agit là de tours, mais étant donné que leur construction ne semble pas être intégrée au mur, on ne peut pas exclure qu’elles constituent un rajout postérieur.

Fig. 11: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11, vu du sud (photo: S. G. Schmid)
Fig. 11: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11, vu du sud (photo: S. G. Schmid)

Afin de niveler l’impressionnante pente de près de 40° (d’est en ouest) par des murs de terrasse, et par là-même peut-être renforcer les hauts secteurs les plus exposés, d’autres tronçons de murs massifs furent érigés, sillonnant le plateau du rocher du nord au sud. Le mieux conservé se situe dans les secteurs B10–D11 (fig. 5; figs. 10–12) et est construit dans la même technique en pierres sèches que le „rempart“ principal, même si dans ce cas les pierres semblent superposées d’une manière plus soigneuse, ce qui peut également être lié au meilleur état de conservation. Contrairement au mur de rempart principal, le mur dans les secteurs B10–D11 semble étrangement bien dégagé et il semble qu’il ait fait l’objet d’une intervention de „nettoyage“, bien qu’on n’en trouve aucune mention dans la littérature scientifique. Le mur se laisse suivre sans problème majeur sur toute la ligne de la falaise nord à la falaise sud, même si les derniers 20 m vers le nord sont densément occupés par la végétation, et que les derniers 20 m au sud se présentent plutôt sous forme d’éboulis.

Fig. 12: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11, vue de l’ouest (photo: S. G. Schmid)
Fig. 12: Mur nord-sud en pierres sèches dans les secteurs B10–D11, vue de l’ouest (photo: S. G. Schmid)

Entre ces deux parties le mur est assez bien conservé, avec une hauteur moyenne d’approximativement 90 cm. Grâce à ce „nettoyage“, on peut également observer la partie inférieure du mur, même si on ne peut être complètement sûr qu’il s’agisse des fondations Toujours est-il qu’on constate dans la partie illustré sur la fig. 12 la présence de grands blocs pour l’„assise“ inférieure, mesurant 80 cm de long et en moyenne 25 cm de haut. Sur ces blocs sont superposés les assises suivantes constituées de pierres plus petites et plus plates. Ces dernières se présentent de manière irrégulière et sans traces de travail, leur longueur variant entre 10 et 35 cm et leur hauteur entre 5 et 15 cm. Comme pour le grand mur de rempart, la limite intérieur ce mur n’est pas clairement visible, mais grâce à la même technique de repérage (cf. supra), on obtient une largeur qui varie entre 2,5 m et 4,5 m.

A cet endroit ont été trouvés, à côté de fragments de tuiles non spécifiques, des tessons de céramique grise dite kaolinitique (fig. 13; 14, 1–3), caractéristiques de la région Py 1993, 488–499 s. v. KAOL (J.-C. Meffre – C. Raynaud), ainsi que la version électronique actualisée: https://lattara.net/cgi-bin/--dicocer.cgi?programme=editD3&choix=KAOL&Submit=submit. . La longue durée d’utilisation de cette catégorie de céramique, qui apparaît pour la première fois au tournant de notre ère et ne connaît aucune modification importante jusque vers 600 ap. J.-C. Ainsi env. 95% de la céramique provenant d’un sondage au pied sud du plateau consistait en céramique grise kaolinitique: Alcamo – Lagrand 1985. , empêche une datation précise, d’autant plus lorsqu’il s’agit de trouvailles de surface sans contexte précis. Des comparaisons avec des pièces provenant de contextes mieux déterminés suggèrent néanmoins que notre céramique se situe dans les trois premiers siècles de notre ère Voir par ex. Meffre 1985; Bonnet 2005–2006. . Une scorie de fer provient également du même secteur de ce mur (fig. 15 en bas à droite). Cette trouvaille est d’autant plus significative qu’elle confirme l’indication d’A. Chevalier, selon lequel de grandes quantités de scories sont présentes sur toute la surface du plateau Chevalier 1920, 53: „(…), culots de fonderie de fer très abondants et disséminés sur toute l’étendue du plateau, (…)“. .

Fig. 13: Céramique kaolinitique grise et claire du secteur du mur (photo: S. G. Schmid)
Fig. 13: Céramique kaolinitique grise et claire du secteur du mur (photo: S. G. Schmid)
Fig. 14: Céramique provenant de différents secteurs (photo: S. G. Schmid)
Fig. 14: Céramique provenant de différents secteurs (photo: S. G. Schmid)
Fig. 15: Fragments de tuiles et d’une scorie du secteur du mur (photo: S. G. Schmid)
Fig. 15: Fragments de tuiles et d’une scorie du secteur du mur (photo: S. G. Schmid)